Sedir Initiations, la pyramide, Andréas, maître Philippe de Lyon

Spiritualité – Sédir, Yvon Le Loup (lu également Paul Le Loup…) Quelques textes de Sédir, pour qui sa rencontre avec Monsieur Philippe fut un des moments les plus marquants de son existence.

Il était déjà écrivain, mais plus spécifiquement sur l’occultisme. Il devient dès lors un des écrivains les plus empreints de mysticisme qui se puisse concevoir. Par de nombreux écrits, il tentera de partager, de transmettre l’extraordinaire de ce que fut pour lui cette Rencontre.

L’un des ouvrages : Initiations relate, j’en suis persuadée, sa rencontre avec Philippe, de Lyon…

Sédir (Yvon Leloup 1871-1926) fait incontestablement partie des écrivains mystiques et solitaires, occultes du XIXe siècle, ayant le mieux exprimé l’extraordinaire personnalité de Monsieur Philippe, dont il faut le préciser, il devint un des proches amis.

LA PYRAMIDE

J’ai toujours cru que, pour une époque donnée, quels que soient le nombre et la divergence des doctrines qui s’y manifestent, il y avait certainement entre elles, soeurs ennemies, un lien commun, une architecture secrète, une armature profonde par quoi elles ne se trouvent être en somme que les résonances discordantes d’une même parole inaudible pour la masse, mais perceptible à quelques-uns.

Ce soir-là, je cherchais à obtenir d’Andréas l’indication qui me permettrait de saisir un exemple de cette unité secrète, organisatrice du monde métaphysique. Entre Alfred Fouillée, Secrétan et Bergson, par exemple, entre Taine, Péguy et le baron Seillière, entre l’Action Française, la Démocratie et Clarté un esprit tout à fait impartial doit apercevoir des ressemblances d’abord, et, par-dessous, des points de contact situés dans cette région de pénombre où s’estompent les disciplines classiques de l’intellect, les fougues romantiques de la passion, les régimes de la volonté, mais où paraît peu à peu le soleil de l’Esprit. Je m’efforçais donc de ranger bien en ordre les arguments divers des penseurs, et Andréas m’écoutait avec patience, plaçant çà et là quelques mots de mise au net.

– Toute règle, disait-il entre autres choses, est amère par-dehors et suave par-dedans; tout caprice, par contre, donne des sensations inverses. Toute passion épuise, toute action régénère suivant la qualité de leurs mobiles, tout se précipite alternativement des uns aux autres extrêmes. Ainsi la vérité n’appartient pas à l’ordre intellectuel seul : une brute peut la saisir dans le moment qu’elle échappe au penseur le plus libre. Elle ne réside point ici ou là ; elle n’est pas ceci plus cela ; elle n’est point ceci combiné avec cela ; l’analyse, ni la syncrèse, ni la synthèse, ni l’analogie ne la saisissent infailliblement. La vue complète d’un arbre ne s’obtient ni de bas en haut, ni de haut en bas, ni en tournant autour, ni même si, par impossible, on pouvait se placer dans son foyer vital. La préhension du vrai comporte une série de traitements des phénomènes et des concepts qui ressemble beaucoup aux manipulations chimiques. Ainsi il y a une catalyse psychologique et une catalyse philosophique, l’affinité existe entre les sentiments et entre les idées, une crise passionnelle ressemble à la lutte des ions dans l’atome, et l’inspiration, c’est l’éclair qui combine des corps hétérogènes.

– Dans quel’endroit de l’Evangile trouverai-je des vues sur ce point?

– Un peu partout, me répondit Andréas. La parabole des vierges, celle des noces, et puis peut-être une histoire arrivée pendant le séjour en Egypte de la sainte Famille. Je vais te la raconter. Tu sais que, à cause de l’hostilité des habitants, elle changea plusieurs fois de résidence et finit par se fixer non loin d’un petit village de pêcheurs, près de la Grande Pyramide. Auprès de ce monument campaient des nomades d’un type tout à fait distinct de celui des indigènes, parlant entre eux un idiome étranger, ne se mêlant pas à la vie des villageois dont ils soignaient cependant-les malades. On les disait originaires de l’Occident numidique où vivent les Bédouins, bien qu’ils ressemblassent plutôt aux anciens envahisseurs ninivites. Ils observaient constamment les astres, et les paysans avaient remarqué qu’ils quittaient la place ou y revenaient sans qu’on puisse retrouver dans les sables les pistes de leurs chameaux. On croyait qu’ils avaient découvert d’anciens souterrains, et on les craignait.

Leurs serviteurs qui, tous les jours, allaient au village puiser l’eau, acheter des grains ou des fruits, avaient vite connu l’arrivée de la pauvre famille juive. Saint Joseph allant travailler, et la sainte Vierge avaient rencontré quelques-uns des nomades, avaient lié conversation et dit leur histoire en quelques mots.

Un soir, nos exilés étaient sortis jusqu’aux Pyramides. Le soleil descendait et, dans l’ombre des énormes triangles de Pierre, rougeoyaient les feux des tentes bédouines. Le désert commençait déjà ; ce monde où l’immensité se pétrifie, où parlent seuls le tonnerre et le vent, où la solitude envahit le voyageur et le dénude face à face avec lui-même. Les milans noirs planaient dans le ciel merveilleux; sa splendeur déclinante colorait d’un faste royal les pauvres manteaux rapiécés. L’un après l’autre, les grands Bédouins barbus se levaient pour saluer le vieux Joseph et sa jeune épouse taciturne, puis faisaient jouer le petit enfant tout blond.

Ce petit les avait étonnés déjà. Un jour, de loin, ils avaient vu une lionne lécher ses pieds et, d’autres fois, le fennec si craintif sortir de son trou en plein midi pour courir avec lui. Ils avaient remarqué que les najas et les cérastes avaient quitté leurs retraites de broussailles épineuses, et d’autres choses encore. Finalement, l’un de ces solitaires avait demandé à Joseph la date de la naissance de cet enfant charmeur.

Pendant que son père et sa mère causaient, le petit Jésus à l’abri d’une roche, semblait s’amuser à tracer sur le sol des lignes au moyen d’un éclat de roseau, puis il courut au plus âgé des Bédouins et l’amena vers son ouvrage, comme tous les enfants qui ont réalisé quelque fragile chef-d’oeuvre. Mais le vieil homme au visage impassible eut à peine jeté un regard sur le dessin qu’il pâlit un peu et se pencha vivement sur cette confuse géométrie. Il y découvrit, dans un grand triangle isocèle, le plan des constructions ménagées à l’intérieur de la pyramide: la crypte, la chambre du Roi et celle de la Reine, les passages, le puits, tout enfin. Or, ces nomades étaient seuls à connaître cette structure secrète. Héritiers de traditions antédiluviennes, ils savaient que la Pyramide avec le Sphynx est un des livres de pierre où les patriarches ont consigné toutes les clefs de leur savoir. Sa position géodésique, son orientation, ses mesures extérieures et intérieures, les angulaisons de ses arêtes et de ses couloirs, les repères de ses chambres donnent des éléments d’astronomie générale et terrestre, de géographie, de sociologie, les lois de l’histoire politique, philosophique et religieuse, celles de la physiologie, de la psychologie…

– Mais. interrompis-je, les travaux -de Brück, de Piazzi-Smith, de Lagrange nous renseignent là-dessus ?

– Oui, continua Andréas; mais ces savants n’ont pas tout dit. Et, d’ailleurs, à l’époque des Ptolémées, personne ne se doutait de ces choses. Lorsque donc notre nomade eut bien regardé, étudié, mesuré le dessin du petit enfant et qu’il en eut reconnu l’exactitude, sa surprise devint extrême et un sentiment d’effroi profond s’empara de son âme.

– En effet, m’écriai-je. Je m’imagine un tel homme qui, après s’être battu avec toutes les idées, avoir vaincu toutes les passions, avoir affronté tous les dieux, avoir conquis enfin la certitude, aperçoit son trésor aux mains d’un enfant, se trouvant avec le miracle, lui pour qui aucun miracle n’est que l’application de quelque formule secrète; quel effondrement de tout lui-même !

– Oui, répondit Andréas. C’est sur la montagne la plus solide que le tremblement de terre exerce le plus violemment sa puissance. Or, pour finir mon histoire, quand le petit enfant jugea qu’on avait assez admiré son oeuvre, il reprit son roseau et compléta son dessin en traçant à l’intérieur de son triangle de nouvelles lignes qui firent apparaître une croix exactement semblable à celle que, trente ans plus tard, les bourreaux juifs devaient élever sur le Mont du Crâne. Toujours, sans rien dire, il indiqua au Bédouin comme des points de repère. Et, après les avoir mesurés, après avoir calculé, le visage brun de l’adepte devint comme de la cendre et sa haute stature se prosterna aux pieds du petit être mystérieux. Mais celui-ci, comme un enfant ordinaire, s’assit près de l’homme terrorise et se mit à jouer avec les franges de son manteau.

– Votre histoire est curieuse, dis-je. Est-ce qu’il ne s’agit pas d’ancêtres des Rose-Croix du XVIIe siècle, de cette -école qui prétend commencer à Hénoch, le fils de Caïn, le fort centralisateur, et qui se réclame d’Elie, l’attrait vers le haut, qui se développe entre l’endurcissement et l’espérance ?

– Cela, répliqua Andréas, en levant la main, c’est encore une autre légende. Ce que je voulais te faire voir, c’est de quelle façon ce solitaire libyen, possesseur de tous les éléments de la combinaison desquels naît la vérité, a pu apercevoir et appréhender cette vérité. Songes-y un peu.

– Voici donc, d’une part, la Nature, le coucher de soleil. les monuments séculaires, puis quelques hommes qui les étudient, puis trois personnages étrangers qui n’étudient pas, qui ne disent rien. Deux d’entre eux se préoccupent uniquement de protéger le troisième. Celui-ci est le plus petit, le plus inaperçu de tous; et, cependant, en jouant, il fait voir la ‘Vérité’.
Et puis ? demandai-je.

– Mais, répondit Andréas, ton analyse est complète. C’est comme cela que l’on trouve la Vérité. Tu ne me comprends pas, parce que tu ne t’arrêtes pas de raisonner. Il faut, à certains moments, ne plus raisonner, et simplement voir. C’est pourquoi la femme reçoit mieux que l’homme les vérités intuitives qui forment les rayons primitifs de la Vérité. Plaise à Dieu qu’elle ne se détache pas de ce beau privilège, qu’elle ne se mette pas à vouloir raisonner tout comme un homme. Il faut raisonner, certes, mais avec mesure, pas tout le temps. Surtout, il faut ne pas se rendre aveugle. Il faut pouvoir arrêter la machine mentale dès qu’elle commence à tourner à vide et se mettre alors à regarder, à sentir, à aspirer la Vie, à vivre, à aimer. Voilà la méthode, docteur, qui n’est pas une méthode, mais dont ceux-là seuls peuvent concevoir l’emploi qui ont épuisé toutes les méthodes.